Elle habite la Sonate d’un bout à l’autre
Magazine Musiques – 16 janvier 2005
PIANO
Franz Liszt – Sonate en si mineur
Frédéric Chopin – Polonaises 2, 4 & 5
La pianiste Claude Bessmann a attendu la maturité pour enregistrer son premier disque. Elle consacre d’ordinaire une grande partie de ses activités à l’enseignement et au travail avec les chanteurs (dans la classe d’accompagnement vocal du CNSM de Paris). Au concert, son répertoire couvre les XIXème et XXème siècles, et elle interprète régulièrement l’œuvre pour piano de Maurice Ravel. Comme pour rattraper le fil d’une carrière de concertiste mise sous l’étouffoir, Claude Bessmann, pour ce CD, n’emprunte pas les chemins de traverse de la littérature pianistique en gravant, par exemple, quelque opus rare d’auteur oublié… Non ! Elle s’attaque à un monument, cheval de bataille des plus grands : la Sonate de Liszt. On sent comme une urgence dans cet enregistrement. Une évidence : si la pianiste fait ce choix, c’est qu’elle a quelque chose à dire, là , dans cette œuvre précisément… et cela s’entend ! Est-ce Claude Bessmann qui s’est emparée de la Sonate, ou la Sonate de Liszt qui s’est emparée de l’artiste ?
Dans son mouvement unique, l’opus, composé en 1853, est d’une audace structurelle sans précédent et nombre d’interprètes se cassent les doigts à chercher leur chemin à travers un discours rhapsodique virtuose. Claude Bessmann est de celles qui foncent tête baissée dans l’œuvre, se livrant sans frein, ou presque… Elle habite la Sonate d’un bout à l’autre rend compte de sa force incandescente, au fil d’un discours échevelé, au détriment parfois de l’articulation des phrasés, certes, mais avec un engagement et une sincérité rares. L’effet est captivant ! La pianiste semble nous livrer « sa » Sonate, se dissoudre dans ses élans, ses thèmes puissants, ses harmonies profondes : elle fait corps avec elle. Si l’on a déjà entendu, dans cette œuvre phare, des doigts plus infaillibles ou des sonorités plus lumineuses, on apprécie ici l’originalité, la vérité du discours, la puissance de l’incarnation et de l’abandon. En complément, Claude Bessmann interprète trois Polonaises de Chopin avec le souci évident de rester dans le même élan. Elle parvient en permanence, à l’image des chanteurs, à en maîtriser le souffle. Une artiste à découvrir !